mercredi 29 juillet 2020

DROITS DE L'ENFANCE

DROITS DE L'ENFANCE


Patrick Simon, auteur du récit IMPUR ayant pour thème les séquelles d’un abus sexuel sur un enfant et son parcours vers une forme de résilience en age adulte, avant d’entreprendre son activité en tant que éditeur, a vécu diverses expériences dans le domaine des Droits de l’Enfance. Entre autres, il a exercé une activité d’éducateur au Centre Jeunesse de Montréal.
Selon Patrick Simon, la démarche doit se dérouler dans le cadre d'une approche systémique, en prenant en considération le sujet globalement, dans son contexte familiale et sociale. À travers l'écoute profonde de la victime mais aussi celle d'éventuels autres acteurs comme les membres de la famille, sans jugement ni manipulation mais en maintenant la juste neutralité et en créant un climat de confiance, l'objectif est de permettre à la victime elle-même de faire une lecture de ce qu'elle a subi, en remettant les choses à leurs places (par exemple à sortir de l'auto-culpabilisation en restituant la culpabilité à qui a commis le crime) et de l'aider à trouver les propres instruments nécessaires pour se reconstruire et envisager une vision positive de son futur.

Je remercie l'auteur pour me permettre de publier son article, car je crois qu'il est d’extrême importance donner des exemples sur comment sortir le mieux possible de ce trauma.


Une intervention IRI en abus sexuel

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L’intervention, dont il sera fait état ici, s’inscrit à l’intérieur du Service d’intervention d’urgence et de crise IRI. Dans ce cadre, des intervenants du service accompagnent des travailleurs sociaux évaluant des signalements en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ)

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Intervention IRI Patrick Simon, éducateur, DSTSE

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Cette vignette s’inscrit dans ce type de demande formulée par un intervenant de l’équipe spécialisée dans l’évaluation et l’orientation (É/O) des abus sexuels et des abus physiques.


Émilia (1) est une jeune de 16 ans, d’origine bolivienne, qui dévoile un abus sexuel à son égard de la part de son père, juste au moment où la conjointe se sépare de ce dernier et quitte le domicile avec ses 4 enfants (demi-frères et demi-sœurs d’Émilia, âgés respectivement de 20 et 19 ans et deux jumeaux de 16 ans). Lorsque la belle-mère a appris l’abus, elle a décidé d’amener, avec elle, Émilia et son frère. Ce frère de 14 ans reste « neutre » mais les autres enfants sont en réaction, refusent de croire Émilia et sont agressifs envers elle. Ils demandent qu’elle quitte la maison, disant qu’ils n’ont pas à subir sa présence, en plus d’avoir à vivre la séparation de leur mère d’avec le père d’Émilia. De son côté, la belle-mère a tendance à croire la jeune fille mais elle demande de l’aide pour contenir la fratrie. Le service É/O de la DPJ (2) nous donne pour mandat d’éviter le placement en urgence et de trouver des moyens pour contenir la fratrie et susciter l’émergence de sens face à cette réaction qui semble, de prime abord, si inappropriée.


Mon hypothèse clinique est la suivante : la famille de l’ex-conjointe subit un double choc à travers la séparation de leur mère d’avec son conjoint et le dévoilement par Émilia d’un abus sexuel. Cela met en déséquilibre la famille. De plus, Émilia manifeste des comportements qui ressemblent au syndrome de choc post-traumatique, alors que les autres enfants les interprètent comme un détachement qui les questionne.


En début d’intervention, nous avons convenu que je rencontre tous les enfants ainsi que la belle-mère, qui ont du mal à croire Émilia quant à l’abus sexuel, et ce, afin de les entendre et d’aider chacun à exprimer ce qu’il ressent, et trouver ensuite des moyens d’apaisement. Il s’agit là de prendre soin, à la fois d’Émilia, la victime, et de son environnement familial, qui est confronté à l’innommable.

Les demi-frères et sœurs se sentent mal dans la situation et veulent absolument connaître la vérité avant de pouvoir réagir autrement. Pour un temps, ils ignorent Émilia et ont du mal à comprendre pourquoi celle-ci semble joyeuse et fait ses routines quotidiennes « comme si rien ne s’était passé ». Émilia réagit par des symptômes post-traumatiques qui sont de l’ordre de l’engourdissement des réactions intellectuelles, et de toute une variété de dissociations. De son côté, Émilia dit comprendre ses demi-frères et soeurs, se sentant fautive et responsable de la séparation de sa belle-mère d’avec son père.

Comme elle est assez réservée de nature et ne sait pas comment être avec eux, elle a tendance à garder pour elle ce qui fait mal. Elle fuit mentalement dans un espace apparemment neutre. Elle est aussi sur la défensive, car son père a eu dans le passé des comportements violents, à tout le moins psychologiquement. Cela expliquerait notamment qu’elle aurait menti, il y a trois ans, sur sa sexualité, invoquant un viol au lieu d’une relation intime, de peur que son père ne lui inflige une punition corporelle. Ce mensonge antérieur pourrait expliquer l’attitude des autres enfants.

Ceux-ci ont un doute quant à l’abus sexuel subi, car ils ne peuvent pas croire cela d’un homme qu’ils ont côtoyé toutes ces années.


Pourtant, depuis les 13 ans d’Émilia, le père lui examinait les parties génitales sous prétexte de vérifier si elle était encore vierge ou si elle avait des relations sexuelles sans son accord. Il a demandé d’ailleurs à sa conjointe de l’examiner aussi parce qu’elle est médecin. Cette dernière refusera de le faire plus d’une fois.


Face à cette situation de crise, j’ai décidé de prendre soin de toute cette famille recomposée, puis décomposée, pour les aider à reprendre une place et faire des choix éclairés dans ce déséquilibre - rééquilibre. À cette fin, j’ai fait un travail pour que chacun des membres du système puisse exprimer verbalement ses émotions au lieu d’aller potentiellement vers des actes agressifs – ce dont a peur la mère des autres enfants. Il a été essentiel que les choses soient dites. Chacun se sentait pris avec son malaise et il peut être plus facile de rechercher un bouc émissaire, surtout lorsque le système familial est aussi ébranlé par la séparation du couple. J’ai simplement proposé à chacun de verbaliser ce qui les mettait mal à l’aise et de remettre cela en contexte. C’est aussi, à partir de leurs inquiétudes et de leurs réactions de rejet, que j’ai proposé une lecture décalée de la réalité des responsabilités de chacun dans cette histoire. Pour cela, j’ai proposé de voir les différents aspects de l’abus subi ou annoncé. C’était leur proposer différentes lectures d’une réalité qui dérangeait chacun. C’était aussi pour ne pas juger les membres de la famille leur montrer que je prenais en compte leurs émotions et que j’allais leur permettre de les exprimer afin qu’ils puissent rebondir et chercher leurs propres changements face à une situation vécue difficilement. Je respectais ainsi leurs émotions, tout en leur proposant de respecter la parole d’Émilia et en les sécurisant sur le fait que le doute est une réaction normale. Je voulais ainsi éviter que le symptôme du malaise ne devienne la cible. Il fallait que les choses se disent et pour le permettre, il me fallait être le plus neutre possible.


Le cœur de mon objectif était de passer d’une coalition des enfants contre Émilia à une alliance avec les différents membres du système d’une famille multisymptomatique, où la crise vient exacerber les réactions de ceux-ci, en état de survie.


Je pense que cela a permis aussi à la mère des demi-frères et demi-sœurs d’oser se confier par rapport à une inquiétude supplémentaire : sa fille aînée en dépression, qui refusait de prendre ses médicaments et venait de tenir des propos suicidaires. J’ai pu lui apporter des éléments de réponse à son inquiétude et lui donner des références relatives à la prévention du suicide.


À Émilia, j’ai offert une écoute attentive et patiente pour lui permettre de reprendre du contrôle sur elle-même. Elle développait des stratégies d’évitement et d’engourdissement en se réfugiant dans un quotidien qu’elle voulait anodin, et en montrant d’elle une image relativement neutre. C’était une façon de reconnaître sa peine au-delà du fait qu’elle se protégeait des réactions de son entourage en refusant de parler devant les autres, et prenait sur elle une séparation dont elle n’était pas la cause. C’était aussi pour mettre en place un rapport de confiance.

Mon objectif était qu’elle reprenne soin d’elle, plutôt que d’afficher une absence apparente de colère devant le questionnement des autres, voire leur incrédulité. Aussi pour qu’elle se soucie d’elle-même pour le cas où elle ne pourrait pas rester avec sa belle-mère, qui faisait face aux pressions de ses enfants, je lui ai proposé d’ouvrir son imaginaire sur l’après-crise. Je n’essayais pas de l’aider à résoudre ses difficultés nées de cette double rupture (d’avec son père, d’avec sa famille recomposée) mais plutôt d’aller de l’avant avec ses forces personnelles et sa capacité de confiance en elle que je trouvais à travers ce qu’elle me contait de sa façon de réussir à l’école, de son intégration sociale et de sa force à voir l’avenir.


Mon écoute empathique de départ me permettait aussi de prendre acte de ce qu’elle avait dévoilé et de lui dire que la victime, c’était elle : victime de violence sexuelle et de violence psychologique de la part d’un adulte qui avait la responsabilité de sa personne. Mes échanges avec elle se faisaient sans jugement ni approbation pour éviter qu’elle ne me place en position d’autorité et ne développe un transfert dans la relation de pouvoir.


Lorsque je faisais mes rencontres individuelles avec elle, je la laissais parler de ce qu’elle voulait. Mes questions étaient ouvertes afin de lui permettre de parler sans focaliser sur le vécu qu’il lui avait déjà été difficile d’exprimer lors de la vidéo objective avec la police, dans le cadre de la procédure médico-légale. Simplement, c’était lui permettre de parler de ses émotions et de parler de ses réalités. Quel pourrait être son devenir, sans autre famille que son père qui pourrait se retrouver condamné et donc, interdit de contact avec elle pour un temps indéterminé? Je voulais l’aider à se projeter dans l’avenir en nommant ce vers quoi elle aspirait et en tenant compte de toutes ces réalités. Cette démarche lui a permis de nommer son intérêt pour les études auxquelles elle se raccrochait et de ses ambitions de jeune immigrée de 16 ans dont la famille est encore en Bolivie, hormis son père.



ELLE M’A TOUCHÉ PAR SON ATTITUDE DE RESPECT DES AUTRES

Émilia m’a aussi donné lors de cette intervention. Elle m’a touché par son attitude de respect des autres. Elle m’a permis de l’accueillir dans son vécu, dans l’expression de ses émotions en tant que partage du respect. Quelle que soit la vérité mise en doute au départ par les autres, sa capacité à nommer comment elle se sentait là-dedans m’a donné la force de lui faire confiance et de me concentrer sur ses besoins. 

J’ai pu ainsi découvrir ses émotions sans les juger à priori, mais aussi ses mécanismes de défense devant le déséquilibre. J’ai pu mesurer notamment combien il est important de travailler sur ses propres émotions en tant qu’intervenant lorsque l’on touche à la question douloureuse de l’intimité de l’être humain, des émotions ressenties lorsqu’une personne viole nos frontières; 

j’ai pu voir l’importance d’en parler au fur et à mesure à un superviseur clinique pour garder la distance, tout en étant proche de ce système ébranlé. L’enjeu était là : travailler sur nos propres émotions sans les esquiver, ni les banaliser; assumer ses émotions avec lucidité.


Ceci m’a permis de chercher avec elle les meilleures solutions qui s’offraient à elle comme à nous, les intervenants, pour que chacun retrouve ses moyens d’équilibre. Je me suis senti plus capable de la soutenir face à l’incrédulité des autres et aussi face à une situation complexe : où pourrait-elle aller lorsque les autres enfants obtiendront de leur mère qu’elle nous demande de la sortir de leur famille? Et au-delà, lorsque le père sera arrêté par la police, où pourra-t-elle poursuivre sa vie? Pour elle, la dernière option était un retour dans son pays d’origine, au sein d’une famille qu’elle n’était plus sûre de vouloir rejoindre.


J’ai trouvé aussi une jeune fille qui, finalement, a osé dénoncer l’innommable d’un abus sexuel pas toujours facile à prouver. Je pense que bien des personnes gardent cela pour elles, de peur d’être jugées parce qu’elles n’ont pas dénoncé l’abus dans l’immédiat; ce qui peut parfois être interprété par l’acceptation de gestes intimes posés sur soi.


J’ai rencontré à travers Émilia une jeune qui, au-delà de cette situation, avait des projets d’avenir – ce qui est souvent rare et précieux chez des adolescents qui ne sont plus aidés par des rituels de passage et qui n’ont pas toujours des modèles identitaires fiables.


Cela donne une belle confiance dans la jeunesse d’aujourd’hui et cela fait du bien, étant donné que notre travail nous amène toujours dans le pire, car toujours dans la crise.


À titre de conclusion, il convient de dire que dans cette intervention, le patient désigné était Émilia parce qu’elle était d’abord la victime et aussi, parce qu’elle avait nommé l’innommable d’un abus sexuel. En même temps, il est apparu assez rapidement que tout le système familial était en crise et non seulement, elle. De ce fait, intervenir supposait de prendre soin de l’ensemble de ce système et de redonner à chacun sa fonction. Et c’est précisément les enjeux de la communication entre les membres de cette famille recomposée – décomposée – qui m’ont amené à faire ces choix. La difficulté principale dans ce type de situation est de faire face à un système qui va vite se replier sur lui-même pour trouver une sorte d’homéostasie; 

et ce, quitte à mettre en-dehors le symptôme malgré que la belle-mère eût pris la décision humaniste d’emmener avec elle et toute sa progéniture incluant celle par qui le scandale est arrivé.


Aussi, pour moi, le patient désigné n’était plus Émilia mais bien les modalités relationnelles dans la famille.



Intervention IRI Patrick Simon, éducateur

Source : DéfiJeunesse Vol XV n°2 mai 2009

IRI : service Intervention Rapide et Intensive

DéfiJeunesse, revue des Centre Jeunesse de Montréal


< Note bibliographique

1) Pour préserver la confidentialié, le nom de la jeune fille et celui de son pays d’origine ont été changés.


2) DPJ : Direction de Protection de la Jeunesse


Article associé à la page du site 

https://www.nadineleon-auteur.com/droits-de-lenfance.php


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