dimanche 21 février 2021

IMPACT Tanka prose de NadineLéon


Récit sous forme de tanka-prose (les tankas sont des poèmes en 5 lignes qui s’alternent à la prose). Au sens large, l'impact sur l’environnement définit les effets, favorables et défavorables, pendant un temps donné et sur un espace défini, d’une activité humaine ou autre et les modifications engendrées globalement sur la nature.
Ce texte a été publié dans le n°42 de la Revue du tanka francophone.
http://www.revue-tanka-francophone.co...



IMPACT

Tanka-prose de Nadine Léon

ou le message d’une fourmi blanche et d’un jeune chêne…


Étendue dans l'herbe
je sens l'énergie subtile
de la Terre mère
à la fin de mon chemin
je retournerai en elle


En ce tranquille après-midi d’été, je suis allée méditer au bosquet. Assise à même le sol je me suis mise à l’écoute. Les arbres ont tant à nous raconter. Oui, bien sûr, la fraîcheur de l’ombre, les fruits, les fleurs… leur danse sous le vent, leur parfum, leur musique et le chant des oiseaux qui les habite, et puis tous leurs changements au rythme des saisons. Un spectacle permanent.
Mais ce n’est pas tout. Le monde autour de nous est bien plus que ce que nos sens perçoivent. Les choses vont au-delà de notre regard d’humain, soit qu’elles outrepassent nos limites sensorielles, soit qu’elles procèdent d’une infinie lenteur.


Au petit matin
l’érable change de souffle
sans qu’on le perçoive
malgré l’immobilité
au-dedans les arbres vibrent


Les arbres sont des êtres vivants pas si différents que nous. De nombreux chercheurs ont démontré qu'ils ont une perception du monde plutôt sophistiquée et qu'ils réussissent à recevoir et transmettre des signaux, tout en développant des réseaux d’entraide. À leur façon, les arbres voient, sentent, respirent, communiquent et s’adaptent. Récemment des biologistes ont découvert que les arbres puisent l’eau à travers un système de pompage similaire à notre système cardiaque, en beaucoup plus lent bien sûr. Pour le dire poétiquement, l’arbre a un cœur. En outre, les arbres détiennent une sensibilité comparable à celle qui nous permet de maintenir l’équilibre, et qui leur consent d'adapter leur forme pour s'ancrer au sol ou se diriger vers la lumière… sans compter leur rôle fondamental dans la nature, pour la qualité de l’air qu’on respire, la biodiversité et quantité d’autres raisons. La liste est interminable, tout le monde le sait.
Tandis que ces considérations me distrayaient momentanément de la méditation, je me suis mise à regarder tout autour, à genou dans l’herbe, et me suis dit que ces quelques arbres étaient sans doute la seule chose que j’avais réussie dans ma vie. Je ne parle pas d’une réussite personnelle, davantage d’une réussite dans le sens d’un équilibre entre donner et recevoir. Ce sont eux que je laisserai quand je m’en irai, et j’espère qu’ils resteront vivants bien après moi.
En silence je reprends ma méditation les yeux entrouverts. Oh ! … Soudain une minuscule créature chemine sur ma robe. Quoi ? Une fourmi blanche ? Je dois la regarder à deux fois tellement elle est petite. Une fourmi albinos, c’est plutôt rare, non ? C’est la première fois que j’en vois une. Je la laisse se promener sur ma main et décide de l’adopter comme animal-guide. Ce qui me vaudra une recherche attentive sur internet pour comprendre la symbolique et des fourmis et de l’albinos. Pour moi rien de ce qui advient n’est anodin, chaque événement et chaque rencontre sont porteurs de message. Je la trouve tellement drôle, cette étonnante créature, que j’en ris. Je l’envie un peu. Si légère, elle ne laissera que très peu de traces d’elle, sinon qu’elle aura eu le pouvoir de m’égayer et restera gravée dans ma mémoire. L’inverse ne risque pas de se produire. Je sais, ces arbres ne pèsent pas lourd comparé à mon impact sur la Terre. Je n’ose penser à la tonne de plastique qu’on laisse derrière soi, par le simple fait de vivre dans notre système conditionné par le progrès, en plein antagonisme avec la vie naturelle. Cette idée et bien d’autres encore me désolent.


L'Amazonie brûle
des poumons verts de la Terre
le monde s'en fout ?
entends-tu ces cris d'oiseaux
sortir de l'enfer des flammes


Devant moi se dresse un jeune chêne de trois mètres de haut. C’est le fils du Vieux Chêne qui se trouvait au bout de notre chemin. Il fut un temps où ce grand arbre était le but de l’une de nos promenades favorites. Il suffisait de prononcer le mot "promenade" que déjà notre chien, un berger à poil long, se trouvait sur le pas de la porte, Luka empoignait la laisse et notre sortie commençait avec le reste des enfants à la suite. Luka était l’un des enfants que nous avions en garde. Né aveugle, il était de ceux qui voient le monde avec les mains et la plante des pieds. Pour l’aider à conquérir une certaine autonomie, nous avions eu l’idée de parcourir ensemble toujours le même trajet, lui devant et nous derrière. Il devait nous conduire jusqu’au Vieux Chêne. Et ce "nous" comprenait également maman chatte et sa file de chatons qui immanquablement s’ajoutaient à la troupe, tous les cinq à la queue leu leu. Les branches du chêne débordaient du talus et Luka sautillait de joie quand il les sentait lui frôler le visage. Il en prenait une dans sa main et en la secouant gentiment, il disait « Salut Vieux Chêne ! », ce qui marquait la fin du rituel et notre retour à la maison.
L’endroit où je vis est victime du déboisement et, un jour, notre ami fut abattu. Devenu grand, Luka avait quitté ma famille, son frère aussi, et nous avions accueilli d’autres enfants. Nous étions accourus sur les lieux. Comme notre présence, et mon appareil photo surtout, gênaient l’un des paysans, il s’avança vers moi, l’œil sombre, en me menaçant avec la tronçonneuse. Son collègue le tira en arrière par le pan de la veste. Le regardant droit dans les yeux, je lui demandai :
« quel âge avait cet arbre ?
15 ans, me répondit-il.
Non ! Il était déjà grand quand je me suis établie ici, il y a 20 ans. »
Les choses en restèrent là. La chute de l’arbre avait gaulé les glands. Les enfants les avaient ramassés et s’en étaient mis plein les poches. Sur le chemin du retour, ils s’étaient bombardés avec, jouant ainsi jusque sur notre terrain. La saison d’après, de nombreux glands avaient germé. Je les avais empotés pour les faire grandir en vue de les replanter. Notre jeune chêne est l’un de ceux-là.
En haut du ciel la présence d’une buse inquiète les mésanges et les longues-queues. Moi aussi je suis prise d’inquiétude. L’été est la période des incendies de forêt. L’an dernier à cette époque, tandis que j’étais là, au milieu de mes arbres, à dormir ou à méditer, des forêts entières brûlaient sur toute la Planète. Dans beaucoup d’endroits, on continue à les incendier.


Où fleuriront-elles
l’amaryllis l’orchidée
où se poseront
les ailes des papillons
soja à perte de vue


Le cri du jaguar
résonne dans la forêt
qu’un feu injurie
le vent souffle sur les cendres
plus rien ne soutient le ciel


Mes arbres me relient aux forêts du monde. Ils sont mon ancrage à la réalité et ma connexion à l’univers. À mon avis les arbres sont des êtres spirituels, pas dans le sens religieux du terme, mais dans le sens de souffle vital, parce qu’ils accumulent et transmettent de l’énergie, tout comme nous d’ailleurs. Et cette énergie émet des vibrations. En fait tout dans l’univers transmet des vibrations.
Ce n’est pas seulement un truc de New Age, d’antiques traditions dites païennes ou de spiritualité profonde comme le taoïsme. C’est devenu l’argument de recherches et de découvertes scientifiques contemporaines, sans doute à partir de la réflexion de Albert Einstein qui disait : "Tout est énergie, et c’est là tout ce qu’il y a à comprendre dans la vie. Aligne-toi à la fréquence de la réalité que tu souhaites et cette réalité se manifestera. Il ne peut en être autrement. Ce n’est pas de la philosophie. C’est de la physique". En plus, physiciens et ingénieurs ont élaboré des techniques pour le vérifier, et des instruments pour mesurer les fréquences vibratoires à l’aide d’appareils de mesure de bio-résonance.
Les humains ont la capacité naturelle de percevoir, plus ou moins consciemment, les vibrations des arbres et du monde qui les entoure. C’est quelque chose de très subtil et une certaine sensibilité est nécessaire. La pratique de la méditation pourrait aider, car il faut littéralement se plonger dans l’instant présent. Pour ma part, je dois avant tout me connecter avec mon intériorité et me mettre à l’écoute de mes propres vibrations. Je peux ainsi entrer en résonance avec d’autres vibrations suffisamment intenses telles que celles des arbres, des cours d’eau, de la Terre ou des éléments cosmiques. Selon moi, il est important, qu’au-delà de tout système de croyance, cela se produise au niveau de l’expérience pure. Ensuite, on prend pleinement conscience que tout est en interrelation. L’idée que la nature et nous sommes d’une essence différente disparaît alors à tout jamais. Inutile de dire que les bienfaits qui en découlent sont innombrables.
En lisant sur les réseaux sociaux certains témoignages semblables au mien, je me rends compte que nous sommes de plus en plus nombreux à savoir établir ces sortes de connections. Cela me réconforte. Je ne parlerais pas d’évolution, plutôt d’un retour aux sources car c’est un don que nous avons perdu puis retrouvé et qui se manifestait spontanément chez les peuples antiques. L’évolution serait que scientifiques, philosophes, poètes, ingénieurs, forestiers, juristes, et quiconque en ait le ressenti, s’élèvent d’une seule voix pour provoquer un renversement radical de comportement vis-à-vis de notre Planète. Pour que le respect de la nature remplace son exploitation forcenée.
À moins qu’il ne soit trop tard ? Chacun fasse sa part, parce que la nature fera la sienne à la barbe des négationnistes.


Laissez de l’espace

et on fera des forêts

nous disent les arbres

les pousses de l’acacia

dans l’allée font leur chemin






Ma maison la Terre

Ma maison la Terre est le nom de la playlist où le récit IMPACT se trouve inséré, c'est le nom d'un mouvement poétique international online qui a pour objectif la sensibilisation à la sauvegarde de la nature et au respect de notre Planète.

Ce mouvement est associé à la page Facebook Terre Mère MotherEARTH :
https://www.facebook.com/TerreMereHar...

L'auteure, Nadine Léon, est membre du GARN, alliance globale pour les droits de la nature. en tant qu'artiste :
http://www.naturerights.com/blog/
https://therightsofnature.org/

https://droitsdelanature.com/lessentiel-des-droits-de-la-nature

" L'affirmation des droits de la Nature reconnait aux écosystèmes des droits à l'existence et les devoirs incombant à l'humanité de respecter l'intégrité de leurs cycles vitaux " 

– reposant sur La “Déclaration Universelle des Droits de la Nature” portée par Global Alliance of the Rights of Nature (GARN)

 Rejoignez la playlist YouTube en cliquant 

Ma Maison la Terre 




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